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La sauvage arnica : ethnobotanique

    arnica loup

    Outre les exigences et les subtilités écologiques de l’Arnica, sa rusticité autant que sa fragilité, nous avons pu faire état des connaissances biochimiques de la plante et découvrir ainsi ses indications médicales officiellement retenues aujourd’hui. Cependant, la multiplicité de ses noms populaires nous suggère aussi d’autres usages, d’autres qualités, nous invitant à nous plonger dans son histoire.

    Nous allons alors exposer les multiples désaccords rencontrés au fil du temps avant de parvenir à une définition botanique nette ainsi que des débats qui ont couru sur les usages qu’on lui conférait. Nous pourrons nous rendre compte que les vertus qu’on lui soupçonnait depuis l’Antiquité s’avèrent tout à fait cohérentes, notamment concernant sa puissance et sa toxicité.

    ARNICA ET SES NOMS POPULAIRES

    1. Arnica, or not Arnica ?

    Il semble très difficile de tracer l’Arnica montana avant le 18ième siècle. En effet, tout le monde voudrait s’accorder sur son histoire depuis Dioscoride, mais au regard des différents ouvrages, on ne peut qu’observer des divergences et des incohérences. Il est donc nécessaire de s’interroger et de déterminer si l’on parle bien en réalité de la même plante, telle que l’a définie Linné.

    Différents noms pour une même plante ?

    Alcimos

    C’est le médecin et botaniste grec Pedanius Dioscoride au 1er siècle après J.-C. qui en ferait mention le premier sous le nom d’Alcimos, dans son célèbre ouvrage « De Materia medica » signifiant « salutaire, qui guérit ». Cette mention sera reprise par Matthiolus, qui au 16ième siècle fera un lien avec l’ Alisma, une autre plante, qui pourrait être l’Arnica.

    Wolfesgelegena

    C’est ensuite la célèbre abbesse allemande Sainte Hildegarde de Bingen, personnage ô combien important, en particulier dans l’histoire de l’herboristerie, qui, au 12ième siècle, fait mention de l’Arnica dans son ouvrage « Physica », sous le nom de « wolfesgelegena » (herbe aux loups), comme une plante « renfermant une chaleur vénéneuse ». Elle écrit qu’elle a un fort pouvoir aphrodisiaque : « Quand un homme ou une femme brûle de désir amoureux, si quelqu’un les touche, lui ou elle, sur la peau avec de l’Arnica encore vert, ils brûleront d’amour pour cette personne. Puis lorsque cette plante sera desséchée, l’homme ou la femme qui ont été touchés par la plante, deviendront presque fous sous l’effet de l’amour qui les a consumé, au point d’en rester stupides par la suite. » (Livre des subtilités des créatures de diverses nature, Physica, DE BINGEN H – 2013).

    Dans un de ses autres ouvrages, « Causae et curae » (DE BINGEN H. – 1997) elle la conseille accompagnée de la sauge en cataplasmes chauds, contre le « mal iliaque » (p. 206), semblant agir contre un mal nerveux et inflammatoire. Le « mal iliaque » pouvant être notamment causé par les règles, la plante agirait alors comme antispasmodique de la matrice (d’autant qu’elle est ici associée à la sauge, dont les indications sont déjà claires en ce sens) ; indications que l’on retrouve actuellement.

    D’après ces écrits, il apparaît déjà que l’Arnica, s’il s’agit bien de cette plante-là, se caractérise par des effets puissants. Hildegarde la classe d’ailleurs parmi les plantes toxiques.

    Mais malheureusement, dans la mesure où aucune description physique de la plante n’est faite dans aucun de ses ouvrages, il est difficile de la relier avec certitude à Arnica montana L. De plus, les traductions de « Physica » qui se sont succédées au fil du temps ne s’accordent pas non plus entre elles. Certains la relieraient plutôt au Senecio, dont les propriétés sont proches de l’Arnica, d’autres à l’Aconit…

    Notons néanmoins qu’elle lui donne le nom de Wolfesgelegena qui, en ancien haut-allemand correspond en ancien bas-allemand à Wolverley, et à Wohlverleih ou Bergwohlverleih en moyen haut-allemand, nom encore usité aujourd’hui pour désigner l’Arnica (GENAUST E. – 2013).

    D’ailleurs, il existe une confusion sur l’étymologie de ce nom commun allemand. Viendrait-il de « wolf » : loup, (nom vernaculaire qui va dans le même sens que Wolf’s bane , une des appellations populaires anglaises d’Arnica), rappelant également d’autres noms allemands de l’Arnica : Wolferley ou Wolfstöterin, ou bien de Wohl für allerlei : bienfaits pour tous les maux ? (VOGEL A. – 2017)

    Malgré la puissance et les effets antispasmodiques que reconnaît Hildegarde à la plante qu’elle décrit, il nous semble difficile d’être catégorique sur le fait qu’il s’agisse effectivement de l’Arnica montana de Linné.

    Fenrir enchaîné, 1680, From the 17th century Icelandic manuscript AM 738 4to, now in the care of the Árni Magnússon Institute in Iceland., Domaine public, Lien

    Toutefois, si l’on poursuit l’idée du loup et que l’on considère une partie des noms populaires de l’Arnica d’usage encore aujourd’hui, la plante passerait pour vaincre la puissance du loup, répondant ainsi à une légende germanico- nordique qui raconte que « le loup Fenris (Fenrir) est opposé à la pure vitalité du soleil, le loup tentant d’assombrir tout ce que le soleil représente en nous » (VOGEL A. – 2017).

    On trouve encore cette notion de puissance propre à l’Arnica, ainsi que la notion de lumière qu’elle apporte et qui va de pair avec non seulement le sol siliceux dans lequel elle s’épanouit (voir la première partie de ce mémoire), mais aussi son rapport très fort à la lumière et au soleil de la Saint-Jean, à l’été (comme l’indiquent certains noms populaires qu’elle porte : l’herbe de la Saint- Jean, l’or des montagnes).

    Arnich

    Matthaeus Silvaticus, Liber pandectarum medicinae (Turin, 1526) / foto domaine public Wikimedia Commons

    En 1317, le nom « Arnich » apparaît pour la première
    fois dans «Opus pandectarummedicinae» grâce à
    Mattaeus Silvaticus, un philosophe et botaniste,
    professeur à l’école de Salerne, en Italie. Arnich
    signifie harnais, dans le sens de « se protéger » ce qui
    pourrait être une origine étymologique de l’Arnica étant
    donné ses usages. «Arnich: idest herba iarnena
    boniodoris similis cinamomo grosso capitulum. LVIII »
    :
    « Arnica, c’est l’herbe qui guérit, d’une bonne odeur
    semblable au cannelier (ou camphrier) – en tous cas
    d’un arbuste aromatique – (Traduction BUTEL-BACLE S., comm. pers.).

    Par ailleurs dans le même ouvrage est également citée une référence, non à l’Alcimos de Dioscoride, mais à l’Alisma, dont nous allons nous rapprocher très bientôt, ce qui nous pousse déjà à la différencier de l’Arnich.
    Il ne s’agit donc pas d’une même plante et à ce stade, malgré une traduction plus directe et une forte odeur aromatique comme possède aussi l’Arnica, nous ne pouvons affirmer qu’il s’agisse bien de l’Arnica montana de Linné.

    Ptarmica

    Pour d’autres étymologistes, « arnica » viendrait de « arinca », de « arcinca », lui même issu de « ptarmica », l’herbe qui fait éternuer, comme le démontrent également certains de ses noms populaires. Et c’est deux siècles plus tard, en Suisse, en 1541, que Conrad Gessner, botaniste, naturaliste, professeur, zoologiste.., parle dans son ouvrage « Historia plantarum » d’une plante nommée « ptarmica » (p. 127, section XV). Toutefois ici pas de trace de l’Arnich, mais il parle aussi de l’Alisma (p. 9 section III).

    Il les décrit comme suit :

    Ptarmica pousse dans les montagnes et les zones rocheuses. Elle est décrite comme un arbrisseau dont les feuilles et les fleurs font éternuer à coup sûr. Ptarmica signifiant littéralement en grec « qui fait éternuer » (traduction ABITAN B., comm. pers.).

    Alisma, qu’il appelle aussi Damasonium, a des feuilles dentelées, et des fleurs blanches et minces, aimant les lieux humides et qui agirait à dissoudre les calculs en les évacuant par les urines (traduction ABITAN B., comm. pers.).

    D’après ces deux descriptions, il n’y a aucune similitude botanique avec l’Arnica montana L. que nous connaissons aujourd’hui. De plus, une confusion s’ajoute ici entre l’Alisma et le Damasonium. S’agit-il du même Alisma dont parle Silvaticus deux siècles auparavant ? Le botaniste Matthiolus va nous éclairer grâce aux premières illustrations accompagnant les descriptions de plantes.


    Illustration d’Alisma, selon Matthiolus p. 534.

    Enfin les illustrations !

    C’est en Italie en 1558 que Pietro Andrea Mattioli, dit Matthiolus, commente l’oeuvre de Dioscoride en y ajoutant des notes, dans un traité de botanique : « Comentarii in libros sex Pedacii Dioscoridis ». Des illustrations claires accompagnent ses écrits. Il y fait le parallèle entre l’Alcimos de Dioscoride, et l’Alisma et on observe que le dessin est très proche de l’Arnica.

    Il écrit que la plante est utilisée pour les « dysenteries, convulsions, et maladies de la matrice. », « L’herbe resserre le ventre, provoque les menstrues et, appliquée, apaise les tumeurs » (MATTHIOLUS – 1572), indication proche de celle que donne Hildegarde.

    Cette illustration ne correspond aucunement à la description faite par Gessner ci-dessus. Preuve encore ici de la grande confusion botanique autour de l’Arnica.


    Illustration de Ptarmica selon Matthiolus

    Et si par curiosité, on s’intéresse à l’illustration de Ptarmica, on ne voit aucun lien possible avec l’Arnica et on ne retrouve pas non plus l’arbrisseau de Gessner.


    Illustration de Doronicum Germanicum selon Clusius,p XVIII de 364

    Grâce à ses premières illustrations, nous avons donc invalidé l’idée selon laquelle l’Arnich, l’Alisma, le Damasonium et la Ptarmica seraient une seule et même plante. Néanmoins, des confusions persistent sur le fait que l’une d’entre elle puisse être l’Arnica montana L.

    En 1601, le français Charles de l’Ecluse (Clusius) publie « Rariorum plantarum historia » un traité de botanique et de mycologie, dans lequel on trouve une illustration de l’Arnica mais au chapitre consacré au Doronicum germanicum (on y trouve d’ailleurs une annotation crayonnée précisant « Arnica montana L. ») (CLUSIUS C. – 1601).

    Ce nouveau nom lié à l’Arnica est aussi référencé dans l’ouvrage de Silvaticus au 14ième siècle et là aussi, bien différencié de l’Arnich.

    Si l’on considère les deux dernières illustrations de l’Arnica montana, elles seraient donc reliées, l’une à l’Alisma (selon Matthiolus), et l’autre au Doronicum germanicum (selon Clusius).

    Où est le point d’accord ?

    En 1623, Caspar Bauhin, naturaliste suisse précurseur de la classification de Linné, semble trouver une solution hasardeuse à tout désaccord, puisque dans son « Pinax Theatri Botanici, seu Index in Theophrasti, Dioscoridis, Plinii, et botanicorum qui a seculo scripserunt opera », il regroupe sous une plante nommée Doronicum plantiginisfolio alternum, une liste de synonymes déjà rencontrés : Alisma Matth., Doronicum germanicum Clus., Damasonium sive Alisma Lugd., Ptarmica montana Lugd., Damasonium Disoc., Tab.. auxquels il rajoute Caltha alpina Tab., Calendula alpina Ger. Nardus celtica alcera Ad. Lob. Lugd….

    Extrait de « Pinax Theatri Botanici », BAUHIN C., 1623, LIB V. SECT.IV. Doronicum, chap V.

    On y retrouve bien les noms des précédents descripteurs et certains noms latins nous renvoient à certains noms populaires donné à l’Arnica montana comme le Souci des Alpes, ou le Nard de Lobel …

    Mais la description très large proposée prouve encore une fois le grand flou qui existe autour de l’Arnica montana L. : « Ses feuilles sont parfois représentées glabres, parfois pubescentes ; jusqu’ici nous en avons observé de plus ou moins pubescentes, quoique provenant d’endroits divers : sa fleur est du même blanc que la giroflée, d’un jaune pâle tirant sur le blanc, […], parfois jaune, tirant sur le rouge, et droite ; on en trouve aussi dans les prés de Styrie dont les fleurs sont d’un bleu sombre. » (Traduction ABITAN B., comm. pers.).

    En 1694, on se met enfin d’accord sur la plante. Mais c’est désormais la classification qui pose problème. Le botaniste français Joseph-Pitton de Tournefort la classe lui aussi dans le genre Doronicum en la nommant Doronicum plantaginis folio alternum, alors qu’en 1753, dans son « Species Plantarum », Carl von Linné, la nomme Arnica montana, classification retenue aujourd’hui. Ses caractères distinctifs sont pour lui que toutes les semences sont aigrettées et qu’il y a cinq filaments stériles dans les demi-fleurons.

    Il y a eu désaccord encore quelques années, puisque cette description sera controversée, notamment par les botanistes Lamarck et Tournefort qui la classent dans le genre Doronicum.

    La classification actuelle retient certes celle de Linné, mais d’autres noms sont apparus depuis, qui sont aujourd’hui considérés comme des synonymes : Doronicum montanum en 1786 et Doronicum arnica en 1804.


    Page de garde de l’ouvrage majeur de classification des végétaux de Linné ; « Species plantarum »

    2. Arnica, la « enfin » bien nommée.

    Les balbutiements botaniques se clarifiant, nous allons, dans ce chapitre, plutôt nous intéresser aux vertus thérapeutiques de l’Arnica montana qui vont petit à petit faire converger les opinions jusqu’à ne retenir que les usages que nous en faisons aujourd’hui.

    Après le Moyen-Age, les connaissances et l’histoire de la botanique progressent, les informations deviennent plus claires. Les confusions possibles s’amenuisent.

    C’est à partir de cette époque que nous commençons à retrouver des documents écrits plus précis et qui permettent peu à peu de faire consensus. L’Arnica montana est bientôt nommée et reconnue botaniquement, mais c’est dans ses usages médicinaux que les opinions vont maintenant diverger.

    On a vu dans le chapitre précédent que depuis Dioscoride, les plantes désignées comme l’Arnica montana avaient des utilisations très variées, tels que dissoudre les calculs par une action diurétique, chasser l’obscurité par la lumière, faire éternuer, agir sur le système circulatoire, soulager les spasmes notamment dûs aux règles, agir sur les convulsions, la matrice ou les dysenteries, comme un aphrodisiaque, ou comme une « herbe qui guérit ». De même que la notion de puissance, voire de toxicité, était déjà pressentie par Hildegarde. Nous allons nous rendre compte que les vertus qu’on lui supputaient depuis le début, et ceci même avant que l’Arnica soit clairement définie, s’avèrent pour la plupart être tout à fait fondées.

    L’action de l’Arnica montana qui semble être la plus répandue depuis la seconde moitié du 15ième siècle concerne le système circulatoire. En effet rappelons ses vertus antispasmodiques sur la matrice citées plus haut. On trouve également dans un site allemand d’ethnobotanique , une autre référence à l’usage de l’Arnica comme emménagogue et abortif. De même, Paul-Victor Fournier écrit dans « Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France » que le botaniste et médecin Tabernaemontanus (1525-1590) le disait « usité en Saxe contre les blessures et les accidents du travail » (FOURNIER P-V. – 1947).

    5 – FORSCHERGRUPPE KLOSTERMEDIZIN et d’après un article « sur la nature des femmes et leurs maladies » dans le manuscrit allemand datant de la seconde moitié du 15ième siècle : Berlin, Staatsbibliothek zu Berlin Staatsbibliothek zu Berlin – Preußischer Kulturbesitz, Mme Germ. Fol. 1069, suiv. 196ra-207rb; traduit par Kruse BJ: « La médecine vaut son pesant d’or ».

    C’est donc, en 1678, qu’enfin Johann-Michael Fehr, médecin allemand, co-fondateur de « l’Académie des Sciences Leopoldina », va trier les différentes sources et les synonymes, nommer et illustrer clairement l’Arnica. Il va également mettre en évidence un usage en le préconisant comme l’un des remèdes les plus populaires spécifiques aux traumatismes.

    Il publie, en collaboration avec d’autres médecins, un catalogue regroupant plusieurs journaux scientifiques écrits par l’Académie. Pour la première fois, on trouve clairement énoncé « Arnica, Panacea lapsorum » (herbes aux chutes). Il la recommande aussi comme sternutatoire sous forme de poudre à priser et à éternuer (le terme de Panacea lapsorum sera d’ailleurs repris plus tard en 1736 par Meisner, professeur de médecine à Prague).

    Extrait de « Miscellanea Curiosa, sive Ephemiridum Medico-Physicarum Germanicarum Academiae Naturae Curiosorum » Observatio II, Arnica Lapsorum Panacea.
    Étiquette ancienne de l’eau d’Arquebuse

    Une autre propriété de l’Arnica semble se démarquer, rappelant l’usage qu’en faisait Tabernaemontanus un siècle avant, toujours en lien avec le système circulatoire : une action vulnéraire, comme le relate en 1685, Madame de Sévigné dans une lettre vantant l’efficacité de l’eau d’Arquebuse, dont l’Arnica est un des ingrédients, sur les blessures, traumatismes et plaies à cicatriser : « Lettres des 7 mars et 29 avril 1685 : « Quand ma petite dernière plaie a été fermée, il s’est jeté aux environs un feu léger, et des sérosités se sont répandue en 6 ou 7 petites cloches, qui se sont percées et séchées en même temps, à la faveur de votre eau d’Arquebuse, dont je me suis souvenue, et qui en deux jours m’a remise en état de marcher » ».
    (DILLEMANN G. & LEMAY R. – 1966).

    Propriété vulnéraire également reprise par Michel Ettmuler, botaniste et médecin allemand, qui va en 1698, commenter « La pharmacopée raisonnée » de Schröder (médecin et pharmacologue) et faire apparaître pour la première fois le mot « Arnica » dans la langue française : « on dit que les paysans du Holfstein en boivent la décoction dans de la bière, contre le sang grumelé et coagulé, ou contre la fièvre » (SCHRODER J. – 1698).

    Apparaît ici également un usage fébrifuge qui fera débat plus tard. Il y ajoute également des propriétés « dessiccatives et parfois diurétiques ».

    A cette époque, Tournefort fait toujours débat sur sa classification concernant l’Arnica dans le genre Doronicum, mais Ettmuler choisit de la classer dans le genre Arnica et identifie bien dans son ouvrages deux plantes différentes.

    En 1736, Léonard-Ferdinand Meisner publie un essai consacré entièrement à l’Arnica, dans lequel il reprend le terme de « Panacea lapsorum » de Jean-Michel Fehr, où il vente principalement lui aussi, ses propriétés vulnéraires.

    Première page de «Arnica, Panacea lapsorum » de Léonard-Ferdinand Meisner.

    A cette époque, l’Allemagne considère donc l’Arnica comme une panacée alors que la France semble peu l’utiliser du fait d’une certaine méfiance liée à la puissance qu’on lui confère.

    Des expériences plus sérieuses commencent à être menées alors que les connaissances traditionnelles que l’on a de la plante s’étoffent.

    Pierre-Joseph Buch’oz, un médecin et botaniste français rapporte bien son action sur le système circulatoire ainsi que sa puissance dans son ouvrage publié en 1770, le « Dictionnaire universel des plantes, arbres et arbustes de France ». Il écrit que la fleur a beaucoup plus de vertu et de force que sa feuille, contenant plus de principes résineux. L’Arnica permet selon lui de fluidifier le sang, et lorsqu’on l’utilise en infusion, elle va créer une augmentation des symptômes avant d’expulser le mal par les urines ou la sueur. Il la préconise lui aussi dans les cas de chutes, blessures, calculs urinaires, goutte, paralysies, fièvres, les obstructions de la matrice, de la rate et autres viscères. Nous retrouvons ici les usages que l’on en faisait déjà au Moyen-Age.

    Son action sur le système sanguin va encore être mise en valeur par le Docteur Hahnemann, qui en 1808 met en place une nouvelle pharmacopée en Allemagne : l’homéopathie, une façon innovante d’utiliser la plante, même si elle est très puissante ou toxique. Il s’intéresse notamment à l’Arnica, qui est aujourd’hui inscrite à la Pharmacopée française dans la liste des préparations homéopathiques comme le remède contre les chocs, physiques ou moraux, les courbatures, la fragilité capillaire ou de la circulation sanguine, les hémorroïdes, les varices douloureuses, les interventions chirurgicales, l’accouchement (ANSM – 2008). Cette forme galénique est aujourd’hui la plus utilisée par bon nombre de gens dans le monde entier. Qui n’a pas un tube de granules d’Arnica montana dans sa trousse d’urgence ?

    Ettmuler et Buch’oz en parlaient déjà, mais c’est dans la seconde décennie du 19ième siècle que plusieurs ouvrages français rapportent notamment les expériences heureuses des docteurs viennois et allemand Collin et Stoll, de l’Arnica sur les fièvres intermittentes, fièvres muqueuses et dans certains cas de dysenterie (comme le suggérait d’ailleurs Matthiolus), au même titre que le quinquina (d’où un autre de ses noms populaires: quinquina des pauvres), sans omettre évidemment ses propriétés vulnéraires ou anti-oedémateuses, ni sternutatoires. (SOCIETE DE MEDECINS & CHIRURGIENS – 1812, CHAUMETON F-P., TYRBAS DE CHAMBERET J-B, POIRET J-L-M. – 1814, SPRENGEL K. – traduction – 1815).

    Une nouvelle fois, la puissance de ce remède y est précisé (effets parfois très intenses sur le système digestif ou la sphère cardiaque, précédant le soulagement, comme une crise curative rapide), de même que la mise en garde sur les dosages et la méthode d’administration. Pour Stoll, les opiacées seraient une bonne alternative à un trop fort dosage d’arnica (CAZIN F-J – 1864).

    Cette puissance déjà évoquée par Hildegarde, clairement énoncée également par Buch’oz va être parfaitement illustrée par Goethe, qui en 1823, l’expérimente directement après une crise cardiaque. Il en fait dès lors les louanges : un « pouvoir guérisseur », « l’énergie est condensée dans l’Arnica. Déjà son seul souvenir libère en mon coeur des torrents de feu. […] Voici la plante de la guérison rapide, de la décision énergique […] Les forces vitales affluent , le pouls se renforce, le coeur reprend courage ; ce qui s’est égaré en hémorragies, en hématomes, reprend le droit chemin. Muscles et tendons se tendent ; la forme lésée, abimée se régénère ; même le système nerveux, qui est si difficile à guérir.[…] Je sentais que la vie et la mort commençaient à se combattre en moi, et voici que les cohortes de la vie, avec cette fleur sur leur bannière, ont remporté leur victoire ». Il y voit un remède « napoléonien », selon Wilhelm Pelikan, médecin anthroposophe qui relate ces propos dans son ouvrage « l’Homme et les plantes médicinales ».

    Illustration d’Arnica montana L. dans le livre «L’homme et les plantes médicinales » vol 1 de Wilhem Pelikan, p.269.

    Dans cet ouvrage Wilhelm Pelikan, évoque également la famille des Asteraceae (dont l’Arnica fait partie), écrivant que c’est une famille dont l’élément clé est la lumière, où le soleil chasse l’ombre, ramenant de la lumière et de la chaleur aux organes.

    Ceci fait écho à la légende du loup Fenris et à Hildegarde dans la perception qu’elle en avait. Nous pouvons ainsi comprendre pourquoi l’Arnica a besoin d’un sol siliceux pour s’épanouir, cet élément étant en lien très étroit avec la lumière.

    A partir de la moitié du 19ième siècle, les études scientifiques et les connaissances s’affinent encore. Cazin, médecin botaniste, considéré comme « l’ancêtre de la phytothérapie », fait état de beaucoup d’études et observations menées par différents médecins sur les effets thérapeutiques de l’Arnica ou ses données biochimiques, alors que l’on commence à extraire des molécules. En 1868, dans son « Traité pratique et raisonné de plantes médicinales indigènes », il confirme les propos de Stoll et Collin, rejoint Buch’oz, Hildegarde, Meisner, Silvaticus, Tabernaemontanus et même Matthiolus, sur ses vertus circulatoires, sa puissance « qui oblige le corps à réagir,», son action emménagogue, diurétique, contre les chutes, les contusions, les ecchymoses, les oedèmes, auxquels il ajoute des propriétés toniques, apéritives, purgatives, contre les rhumatismes, les paralysies, avec toujours un usage en décoction ou infusion, interne ou externe de racines, feuilles ou fleurs. Il indique des propriétés médicinales seulement extractibles par l’eau ou par l’alcool.

    Les noms populaires de l’Arnica tels que « herbe à tous les maux », « herbe qui guérit », « herbe sainte » , « herbe aux anges », ou même la « Panacea lapsorum » de Fehr, trouvent ici une raison d’être.

    Comme quelques uns de ses prédécesseurs, Cazin aborde la question du dosage. En effet, il met en lumière que l’Arnica, par sa puissance, peut être aussi utile que nuisible et ce pour une même maladie. Il écrit qu’elle doit être finement dosée par des mains expertes et avisées, selon le malade, son état évolutif, les circonstances du mal, l’influence du climat…

    De la même façon que l’identité botanique de l’Arnica a été controversée, ses usages multiples ont fait débat (comme son action avérée sur les fièvres). Cependant, ses bienfaits contre les traumatismes et ses actions sur la circulation sanguine restent ses vertus dominantes concordantes.

    Son usage sur les blessures, les traumatismes, les oedèmes, les contusions, les chocs durant les guerres n’est plus à prouver. Par exemple, lors de la guerre franco-prussienne, on retrouve les fleurs d’Arnica dans les médicaments de base inhérents aux ambulances créées pour pallier aux urgences et soins immédiats comme l’illustre l’image ci-dessous.

    Liste des médicaments employés pour une ambulance bien établie durant la guerre franco-prussienne. (extrait de «Organisation d’une ambulance pour 20 lits »).

    De même qu’au cours de la première guerre mondiale, elle est employée sur des blessures avec succès sauvant la vie de plusieurs blessés d’après Paul Victor Fournier, dans le « Dictionnaire des plantes médicinales et vénéneuses de France » .

    Fournier relaie également dans cet ouvrage de nouvelles études, qui font état de l’étendue des actions de l’Arnica, auxquelles s’ajoutent de nouvelles. Elles prouvent des effets positifs sur les muscles (antispasmodique), le système nerveux (excitante, contre l’hystérie, l’hypochondrie, les maux de dents), le système circulatoire (stimulante, actif sur les métrorragies, les dysménorrhées, ou les différentes hémorragies des organes), respiratoire (dans les cas de tuberculose et de phtisie) et digestif.

    C’est une vulnéraire puissante sur les traumatismes sans plaie, les chocs, elle agit sur des affections bactériennes s’exprimant par la peau (furonculose, anthrax, scarlatine), elle est très active sur différentes fièvres, la fatigue du larynx, la rétention d’urine, la jaunisse…

    Elle peut être utilisée en association avec d’autres plantes, mais toujours manipulée très précautionneusement, sa toxicité étant bien établie.

    De toute cette énumération ressort une notion de circulation puissante : non seulement l’Arnica apporte des bienfaits au système sanguin, mais elle permet aussi de « faire circuler », d’expulser les désordres du corps quels qu’ils soient Il y a une notion de plante dépurative, de purge, de force de guérison, de se débarrasser de la stagnation, de ce qui englue le corps, soit par les urines, soit par la peau, soit par les selles, ou par la fièvre qui est un formidable mécanisme de rejet de l’intoxination du corps. Le mot d’ordre de l’Arnica semble être : « il faut que ça sorte ».

    Aujourd’hui les indications médicales officiellement retenues concernent principalement la circulation sanguine comme on l’a vu dans la seconde partie de ce mémoire. Nulle indication n’est par exemple arrêtée contre les fièvres et l’on peut se demander pourquoi, compte tenu des nombreux médecins qui de tout temps en ont fait état. Pourquoi, d’après le Cahier N°3 de l’Agence du Médicament, en 1998, la pharmacopée actuelle a-t-elle seulement gardé de tout cela un usage traditionnel dans le traitement symptomatique des ecchymoses (GOETZ P. & HADJI – MINAGLOU F. – 2019) ?

    Peut-être parce que nous sommes dans une ère d’études scientifiques, de preuves biochimiques bien établies qui soutiennent non pas un « mécanisme de rejet global» mais une action ciblée par une molécule particulière (« une molécule = un effet ») … ?

    Dans tous les cas, l’Arnica n’a plus à prouver ses bienfaits et elle est de plus en plus demandée. Elle a même connu un tel engouement au 19ième siècle, que la ressource sauvage a failli disparaître.

    Il a donc fallu trouver des alternatives afin de préserver sa population tout en en répondant à des besoins économiques et médicinaux grandissants. Aujourd’hui, cela s’articule autour de la protection de l’espèce Arnica montana L., d’une cueillette sauvage très étudiée et réglementée et enfin évidemment d’essais de sa mise en culture.

    4 – Pour l’ensemble de cette partie, les références bibliographiques sont issues de ACADEMIA CAESAREA LEOPOLDINO – 1680, AMBULANCES DES COMITÉS RÉPUBLICAINS – 1870, BAUHIN C. – 1623, BUC’OZ P.J. – 1770, CAZIN F-J. – 1868, CLUSIUS C. – 1601, COUATARMANACH B. – 2011, DE BINGEN H. – 1997, DE BINGEN H. – 2013, DILLEMANN G. & LEMAY R. – 1966, EYMARD L. – 2017, FORSCHERGRUPPE KLOSTERMEDIZIN – 1998, FOURNIER P-V. – 1947, GENAUST E. – 2013, GESSNER C. – 1541, MATTHAEUS S. – 1524, MATTIOLUS P. & DU PINET DE NOROY A. – 1572, PELIKAN W. – 1962, PITTON DE TOURNEFORT J. – 1694, RAY J. – 1693, SCHRODER J. – 1698, SOCIETE DE MEDECINS & CHIRURGIENS – 1812, SEIDL J., GEELHAUSEN J-J., MEISNER L-F. – 1736, SPRENGEL K. – 1815, VOGEL. A – 2017, WIKIPEDIA FONDATION – 2010.

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